D’après " LA RÉCIDIVE MOBILISER L’INTELLIGENCE, NON LA PEUR "
de Serge Portelli, président de chambre correctionnelle à ParisIntroduction : PARLER DE FAÇON RESPONSABLE DE LA RÉCIDIVE
La récidive, et plus largement la criminalité, la justice pénale, la prison, la sanction, les droits de victimes sont des sujets sérieux que la gauche connaît bien, où elle a fait ses preuves mais où elle a aussi commis une erreur: elle a eu peur de ses idées et de son bilan.
Il s’agit d’une préoccupation forte des Français liée à l’émotion très légitime soulevée régulièrement par l’extrême souffrance de victimes de crimes graves ou à la lassitude face à une criminalité difficile à combattre.
Il faut certes sortir du discours bassement démagogique et électoraliste dans lequel patauge la droite mais éviter aussi de traiter ces questions avec légèreté ou, pire, refuser de le traiter.
Les Français ne comprendraient pas que nous refusions la bataille parce que nous n’avons pas choisi le lieu ou l’heure de la confrontation.
Pour autant nous devons préserver les valeurs qui sont les nôtres, ne pas renier la défense des libertés et tenir un discours d’efficacité fondé précisément sur le respect de ces valeurs.
Nous n’avons rien à gagner à singer la droite sur ce terrain: la gauche, une fois de plus, ne nous le pardonnerait pas; la droite, elle, préfère de toutes façons l’original.
Il serait irresponsable d’oublier les leçons de l’histoire alors que la lutte contre la récidive a été en France un sujet permanent de débats depuis deux siècles, voire une obsession.
Cette histoire est marquée par une longue suite d’échecs des solutions purement répressives (la relégation, la tutelle pénale...).
Le code pénal actuel aboutit à un système équilibré mais draconien dont le régime a été constamment durci ces dernières années: doublement des peines encourues, fortes restrictions dans l’octroi de la libération conditionnelle, réduction drastique des aménagements de peine... Dans la pratique, toutes les études le prouvent et les promoteurs de cette réforme le reconnaissent (rapport Léonard: on constate un “substantiel alourdissement des peines prononcées à l’encontre des délinquants d’habitude”) , les peines appliquées aux récidivistes sont beaucoup plus sévères, sévérité qui contribue d’ailleurs grandement à la surpopulation pénitentiaire actuelle.
Il n’y a donc aucune urgence particulière à légiférer, aucune crise particulière à juguler, aucune aggravation à stopper. Il est toutefois encore possible d’améliorer largement le système en appliquant les lois existante plutôt qu’en en votant de nouvelles.
Ainsi le suivi-socio-judiciaire est-il une mesure très prometteuse mais qui n’a pas donné toute la mesure de son efficacité. Cette peine d’accompagnement a été une création de la gauche.
Créée par la loi du 17 juin 1998 sur la répression des infractions sexuelles, elle n’a malheureusement pas pu donner tous ses fruits car les moyens ne suivent pas (absence de médecins coordinateurs, de psychiatres...).
Une nouvelle réforme législative votée dans la précipitation et dans le détestable climat actuel entretenu par la démagogie et les propos outranciers du ministre de l’intérieur serait la pire des choses. Tous les professionnels demandent une pause.
RÉCIDIVE : PROBLÉMATIQUE ET ENJEUX
La récidive est un des plus graves problèmes de politique criminelle. La question qu’elle pose n’est évidemment pas qu’un problème de répression même si elle nécessite toujours une sanction pénale. La résumer à la façon la plus dure de punir un récidiviste têtu qui ne comprendrait rien aux avertissements qu’on lui prodigue est une injure à l’esprit. Sans vouloir paraître trop nostalgique, on ne peut oublier que notre pays s’est illustré par sa lutte en faveur des droits de l’homme, par les progrès qu’elle a fait accomplir à l’humanité en médecine, en psychiatrie, en criminologie, en sciences humaines... et plus généralement par cette attention particulière à l’homme et l’individu. Les questions que pose la récidive sont nombreuses et ardues, n’en déplaisent aux démagogues qui souhaiteraient, en deux ou trois propositions simplistes, pouvoir proposer aux téléspectateurs ébahis, le temps d’un spot publicitaire, une potion miracle qui nous débarrasserait “définitivement” du problème... jusqu’à la prochaine campagne électorale. Avant d’aborder les vraies questions, il serait bon de tordre le cou à quelques idées trop simples pour être des idées.
I - On ne supprimera jamais totalement la récidive: on ne pourra jamais “en finir” avec elle. La justice ne fait pas de miracle.
On trouve dans la bouche et les programmes de plusieurs hommes politiques depuis quelques années, des idées infantiles sur la disparition d’un certain nombre de phénomènes qui font peur comme le crime ou la récidive. Les grandes utopies politiques sont mortes.
Face à ses illusions perdues, d’autres mensonges surgissent qui pourraient attirer le badaud et surprendre l’électeur: on fêterait bientôt le dernier crime, nous vivrions bientôt dans ce monde sur d’où la délinquance sera bannie, et a fortiori la récidive exclue. Nous habiterions dans des cités “nettoyées”, d’où seraient chassés les “voyous” et les “monstres”, ces gens qui ne nous ressemblent pas, à nous, les honnêtes gens. Il existerait des appareils simples genre Karcher d’une efficacité et d’une rapidité plus évidente qu’une thérapie, un traitement ou un accompagnement... A force de tolérance zéro, nous obtiendrions la délinquance zéro.
Y a-t-il un homme politique responsable dans la salle pour oser dire ce que chacun sait depuis toujours ? Le crime ne disparaîtra jamais et la récidive pas davantage.
Nous devrons nous battre inlassablement contre eux mais en sachant qu’il n’y a pas de miracle possible. Il faut tout faire pour réduire le effets de ce mal et protéger les citoyens, en sachant que nous n’éradiquerons jamais définitivement le crime même en rétablissant la peine de mort, même en multipliant par dix ou cent le nombre de prisons.
C’est une politique irresponsable et dangereuse que de laisser croire aux citoyens que la criminalité pourrait se dissoudre dans plus de prison. Les raisons du crime seront toujours là: la souffrance, les traumatismes, la pauvreté, l’isolement, l’appât du gain, les pulsions, les envies, le maladie, les déséquilibres psychiques, la soif de pouvoir... bref tout ce qui fait l’ordinaire de l’humanité et qui ne changera jamais.
La récidive, elle aussi, est inscrite profondément dans l’histoire de l’humanité. Il faut lutter de toutes ses forces contre elle mais savoir qu’elle dépend de facteurs que personne ne peut maîtriser complètement, le juge pas plus qu’un autre.
II - Préconiser “l’envoi de messages forts aux délinquants récidivistes”n’a aucun sens.
D’après la loi sur la récidive de Décembre 2005 de M. SARKOZY, la criminalité est un choix. Nous atteignons là les sommets de la perspicacité et de l’intelligence.
Chacun sait que le délinquant ordinaire est abonné au Journal Officiel dont il suit passionnément les évolutions notamment dans la rubrique “législation criminelle”.
On sait aussi que les moins assidus d’entre eux achètent chaque année les versions successives du code pénal et qu’ils suivent pas à pas, ligne à ligne, les modulations permanentes de la loi que les magistrats, eux, ont perdues de vue depuis longtemps. Le délinquant donc, est ce dernier rempart de la culture juridique qui faisait la fierté de notre nation. Le législateur d’ailleurs ne s’adresse plus vraiment aux magistrats dont les fautes, les erreurs et les inepties l’ont déçu depuis longtemps.
Il adresse directement ses messages aux délinquants. Messages “forts” évidemment car les messages “faibles” risqueraient de se perdre en cours de route.
C’est ainsi que, se levant comme un seul homme 181 députés de la majorité ont voulu en janvier 2004 “adresser un message fort aux délinquants afin de ne plus banaliser la récidive légale”. Le message était si fort, qu’il a fallu y renoncer, de peur que le Conseil Constitutionnel ne le réceptionne moins bien que les délinquants.
Chacun s’accorde en effet à penser que le système des peines plancher risque d’être jugé non constitutionnel comme portant atteinte à l’indépendance des juges prévue par l’article 66 de la Constitution française.
Mais on imagine rétrospectivement l’effroi de tous les délinquants, hésitant, l’arme dans une main, l’article modificatif du code pénal dans l’autre. Auraient-il persisté dans leur noir dessein ou bien se seraient-ils rangé aux arguments de l’UMP ?
Les propositions de Serge Portelli sur la récidive :
Pour lutter contre la récidive, l’effort doit être général et ne pas se limiter au seul problème de la récidive.
Il faut d’abord rehausser le niveau de qualité de la justice pénale pour que le récidiviste potentiel puisse être détecté à temps.La rapidité de la justice, l’accroissement des procédures rapides font que la personnalité des prévenus reste inconnue.
Faute d’une individualisation suffisante de la sanction, on condamne aveuglément à des peines fermes des personnes qui mériteraient une adaptation de leur sanction.
D’où le nombre croissant de personnes présentant des pathologies psychiques parfois lourdes ou des dépendances toxicomaniaques fortes en prison.
C’est pourquoi il faut tenter de redonner son sens à la peine. En expliquant pourquoi elle est ordonnée et quel est son but, ce qu’on appelle la motivation.
Or les tribunaux ne motivent pas leur peine contrairement à l’obligation que leur fait la loi.
La compréhension du sens de la peine passe aussi par la présence réelle de la victime dans le procès pénal. Il faut enfin que soit établi dans chaque affaire un véritable dossier de personnalité (enquête de personnalité, expertise psychologique ou psychiatrique) à chaque fois que la récidive est encourue et transmettre ce dossier ensuite à chaque nouvelle comparution en justice.
S’agissant de la sanction, le système actuel de libération conditionnelle et d’aménagement des peines doit être non pas restreint, mais renforcé. Seules ces mesures permettent de façon certaine de réduire le risque de récidive. Pour permettre une telle politique, il convient de faire un effort historique en faveur de l’application des peines et du milieu ouvert.
Dernier livre de Serge Portelli :
La démagogie, ce n'est pas flatter le peuple, c'est l'abaisser. L'histoire est pleine de ces flagorneurs-là, prêts à tout pour asseoir leur popularité et forcer leur succès. Le mal est ancien, c'est le corollaire d'une démocratie qui dépérit. En décembre 2005, en plein couvre-feu, est votée une loi sur la récidive. La peur du crime a toujours été l'un des terrains favoris des populistes. Fondé sur une falsification de la réalité et de la pratique des tribunaux, sur une méconnaissance totale de ce qu'est la récidive, ce texte ne sert qu'à alimenter un discours électoraliste : celui du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy.
Ce livre décortique, à travers l'exemple de cette loi inutile et bête, cas parfait de la démagogie en marche, la méthode Sarkozy, médiatique et sournoise.
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