Article de Olivier Bonnet
Après les incidents survenus mardi soir gare du Nord à Paris, Nicolas Sarkozy,
conspué nommément par les participants à cette manifestation spontanée contre les forces de l’ordre - on ne parle pas ici que de casseurs-, s’est défendu avec la superbe
mauvaise foi qu’on lui connaît. "
Si Mme Royal veut régulariser tous les sans-papiers et si la gauche veut être du côté de ceux qui ne payent pas leur billet de train, c’est son droit", s’est-il répandu. Admirable noyage de poisson. Notez le raccourci qui mêle immigration et insécurité. Mais qui défend le droit d’un resquilleur de violenter des contrôleurs de la RATP ? Ne cherchez pas, vous ne trouverez personne.
En tout cas pas Ségolène Royal, qui déclare : "L’ordre juste que je souhaite pour la France implique que tout usager des transports publics accepte le contrôle de son titre de transport et respecte les règlements". Ni Julien Dray, porte-parole du Parti Socialiste, qui écrit : "Les affrontements qui se sont produits ce soir à la gare du Nord illustrent le climat de tension, le fossé et la violence désormais installés entre la police et la population". Où excuse-t-il les casseurs ? Comment le contredire, après six heures de simili émeute, quand il évoque "climat de tension" et violence ?
Pire sourd qui ne veut entendre
"Je n’accepte pas les fraudeurs, parce que le prix de la fraude, ce sont les plus pauvres de nos concitoyens qui le paient pour cette minorité qui s’exonère de tout", poursuit un Sarkozy imperturbable. Celui qui n’est "pas l’ami des voyous" en appelle à "la France silencieuse", la même que celle "qui se lève tôt", et l’implore : "J’ai besoin que la France silencieuse dise maintenant :"on n’est pas d’accord" avec les violences". Et il va plus loin, survolté par l’aubaine de la thématique, en parfait apprenti-sorcier qu’il est : "Eh bien c’est clair : l’autorité et le respect, c’est de notre côté. La fraude et le soutien à la délinquance, c’est de l’autre côté". On a vu que personne ne soutient la fraude et la délinquance, mais cela évite de parler de ce fameux "climat", qu’évoque Julien Dray. Le fond de l’air de Sarkoland, en somme : "Qu’un simple contrôle puisse dégénérer dans un affrontement aussi violent prouve que quelque chose ne va plus", observe Ségolène Royal.
Qui peut la démentir sur ce point ? Le leçon qu’elle en tire est implacable : "En cinq ans d’un gouvernement d’une droite qui avait fait de la sécurité son thème de campagne, on voit que c’est l’échec sur toute la ligne". Nicolas, pourquoi tu tousses ? "Le langage provocateur et insultant de Nicolas Sarkozy et l’obsession de la culture du résultat introduite dans la police transforme chaque interpellation en une épreuve de force, appuie l’altermondialiste José Bové, qui dénonce une politique "qui a monté la population contre la police depuis cinq ans" et met en garde contre la colère des jeunes : "c’est quelque chose qui est en train de péter et si on ne change pas cette logique-là, ça va continuer". La candidate communiste Marie-George Buffet ne dit pas autre chose, qui accuse le petit Néron d’avoir "semé depuis plusieurs années les graines d’une situation explosive". Même François Bayrou déplore le "climat d’affrontement perpétuel entre la police et une partie des citoyens (devenu) malsain pour tout le monde. Ca devient tellement tendu, critique, que chaque geste devient dangereux". Il dénonce "la politique de l’UMP, menée en particulier par Nicolas Sarkozy, et qui a reposé sur un choix, supprimer la police de proximité pour ne garder qu’une police de répression". Pour quel résultat ? Souvenons-nous des (vraies) émeutes de 2005, jamais vues dans l’histoire de la Vème république. En quoi le candidat UMP et ex-ministre de l’Intérieur a-t-il amélioré les choses ? Nicolas, pourquoi tu tousses ?
La France d’après depuis 2002
Qu’en est-il donc de ce fond de l’air de Sarkoland ? Plusieurs éléments concrets, puisqu’il s’agit ici de dresser un constat. La "Tolérance zéro", ça ne marche pas. Un chercheur américain l’a très bien démontré par l’analyse de la politique ultra-répressive mise en oeuvre dans le New York du maire Giuliani. Et chez nous ? Bilan de l’action sarkoziste : hausse de la violence faite aux personnes, émeutes des banlieues et multiplication par huit du nombre des affaires de violence policière. Nicolas, pourquoi tu tousses ? Vu dans un hallucinant reportage en caméra cachée de TF1 (dans le magazine Sept à huit, en 2005), ce policier qui s’adresse à un jeune des quartiers périphériques de Lyon : "Tu veux que je t’emmène dans un transformateur ?". Pour les non-informés, les deux jeunes de Clichy-sous-Bois avaient péri ainsi, poursuivis qu’ils étaient par la police, et c’est ce drame qui avait allumé l’étincelle à l’automne 2005, que les mensonges d’Etat (ils ne fuyaient pas la police, ils avaient commis un vol) du pompier pyromane étaient venus asperger d’essence.
Pour les conséquences que l’on sait. "Eh ! Tu veux griller toi aussi avec tes copains ? Tu veux aller dans un transfo ? Ramène ta gueule, on va t’y mettre, lance un deuxième policier dans le reportage. Que le quartier se calme ou pas, on s’en branle. Nous, à la limite, plus ça merde, plus on est content !" Nicolas, pourquoi tu tousses ? Et c’est ainsi qu’aujourd’hui encore, comme si aucune leçon n’avait été tirée du signal d’alarme de l’embrasement des cités de 2005, se multiplient contrôles au faciès, vexations, manques de respect, brutalités, toujours sur les mêmes, les éternels soupçonnés d’être sans-papiers, ou racailles, ou les deux, enfin sur tout ce qui porte un sweat à capuche et tout ce qui est un peu basané, pour résumer. On vient rafler 21 clandestins venant chercher de la nourriture aux Restos du coeur. On asperge de gaz lacrymogènes, au milieu des poussettes, les parents qui veulent empêcher que l’on embarque un grand-père chinois, venu chercher ses deux petits-enfants à la maternelle. On interpelle la directrice de cette école, rue Rampal (à Belleville, quartier populaire de Paris), et on la fait croupir sept heures en garde-à-vue, en l’accusant du délit-type prétexté pour justifier tout l’arbitraire répressif : outrage, basé sur le seul témoignage du policier.
On expulse même des réfugiés politiques, obligeamment renvoyés vers leurs bourreaux. Mais ça ne suffit pas encore : chaque jour, plusieurs fois par jour, on contrôle, on enquiquine, on gâche la vie. Encore un exemple ? "Depuis 4 à 6 mois il y a une recrudescence d’opération de bouclage par les forces de l’ordre, demandées par le procureur de la république, révèle le secrétaire général de la CGT à la RATP. On boucle les sorties du métro et on controle systématiquement titres de transport, pièce d’identité des usagers qui sortent du métro. Je tiens à préciser que l’absence de titre de transport est une infraction, ce n’est pas un délit, et que les usagers qui sont en infractions concernant le titre de transport ne sont pas délinquants". Mais bien vite traités comme tels. Vous avez parlé d’Etat policier ? Forcément, tout cela crée une ambiance de défiance, voire de révolte envers la police républicaine. Même une majorité des gardiens de la paix n’en peuvent plus : "Les policiers en ont ras-le-bol de la culture du résultat et des pressions", explose Joaquin Masanet, secrétaire général de l’Unsa-police, syndicat proche de la gauche et majoritaire, devant Alliance, dont les dirigeants ont par contre salué l’action de l’ex-ministre de l’Intérieur. Les militants de l’UNSA étaient environ quelque 4000 le 27 mars dernier dans les rues de Marseille, pour crier leur protestation devant la dégradation de leurs conditions de travail. Nicolas, pourquoi tu tousses ?
Instrumentalisation simple, aggravée ou manipulation ?
"Cette affaire, c’est bon pour Nicolas : ça met l’insécurité au coeur de la campagne", a déclaré son conseiller politique, Patrick Devedjian. Comment alors l’exploiter ? José Bové explique que le candidat UMP "essaie de nous faire le même coup qu’il y a cinq ans pour faire peur aux gens", et cette argumentation est validée par la position de matamore de l’ancien premier flic de France, se positionnant comme le seul à même de nous "débarrasser des racailles". Dans la France actuelle, avec la précarité sociale qui s’aggrave, la misère qui gagne, où les gens sont d’abord préoccupés par le chômage et le pouvoir d’achat, quels sont en effet les arguments sociaux de Sarkozy ? L’absurde gimmick du "travailler plus pour gagner plus", ressassé jusqu’à la nausée durant cette campagne, par exemple par un Jean-François Copé plus tête à claque que jamais.
Quand on sait le nombre écrasant de situations individuelles dramatiques auxquelles cette mesure n’apporte strictement aucun secours, on mesure bien que la réponse est un peu courte... Et ce n’est pas non plus le bouclier fiscal à 50% ni la suppression des droits de succession qui va aider cette France qui souffre. "Antisocial, tu perds ton sang froid !", écrivait le leader du groupe Trust, Bernie Bonvoisin (qui soutient aujourd’hui Ségolène Royal). Alors il faut faire parler d’autre chose. "Répression dans l’hexagone", écrivait encore le même, comme Renaud (autre actuel ségoliste) avant lui : bingo, immigration, insécurité ! "Qui bono ?" demandait déjà le Cicéron de la Rome antique, "qui profite ?" Sans bien-sûr prouver une autre responsabilité de Sarkozy que morale dans les événements de la gare du Nord, cette question éclaire le déroulement de ces six longues heures et les nombreux témoignages de protagonistes sous un jour troublant. L’incident de l’arrestation ultra musclée du "resquilleur clandestin délinquant multirécidiviste nègre" (qui ne l’est finalement pas tant que ça, apprend-on le lendemain par Reuters), après que l’individu a molesté deux contrôleurs, se déroule à 16h15. Oui, Monsieur Sarkozy, il fallait l’interpeller. Le tabasser, lui casser le bras (ou la main, suivant les sources), est-ce bien la procédure d’interpellation réglementaire de votre police ? En tout cas, les premiers témoins de la scène ont été si révoltés par cette violence qu’ils ont aussitôt protesté, et il ne s’agissait pas encore de casseurs. Juste des usagers de la RATP, choqués en tant que citoyens. Une manifestation spontanée, ponctuée d’insultes à l’égard de Sarkozy et de slogans comme "police partout, justice nulle part". Certains, plus énervés que d’autres, ont lancé quelques bouteilles en plastique vides.
Pour de belles images au 20 heures
Et puis, au fil des minutes, pas grand chose, le calme qui revient. Pendant presque deux heures ! Mais les renforts de police affluent. En tenue anti-émeutes et formation de combat, comme la tortue des légions romaines. Et le temps encore passe. Avec ce déploiement insensé de force en guise d’appel provoquant aux vrais casseurs et émeutiers. Etaient-ils convoqués ? Allaient-ils arriver à temps pour le 20 heures des télés ? Rassurez-vous, ils furent au rendez-vous. Quoi que sans doute pas aussi nombreux qu’on tente de nous le faire croire. Ainsi le site militant Bellaciao publie-t-il la photo d’un homme avec cette légende : "Juste avant il a été aperçu par de nombreux témoins en train de parler aux CRS et à des BAC en civil (Brigades anticriminalité, à la solide réputation de cowboys, Ndlr) (...) Ce jeune homme a été reconnu par de nombreux témoins comme n’étant pas un "jeune casseur" mais bien un flic aux ordres de Sarkozy, en plein boulot de provocation" (photo ci-contre).
Que voilà une grave accusation ! Et quid des gaz lacrymogènes déversés au milieu de simples voyageurs rentrant chez eux, est-ce la manifestation de cette remarquable maîtrise que loue le nouveau ministre de l’Intérieur, le freluquet François Baroin, qui vole sur les traces de son maître ? Une enquête pourrait permettre de voir clair dans tout ça. Mais pas sûr : les coupables de la très suspecte agression du papy Voise, à la veille des élections de 2002, n’ont jamais été retrouvés, et les casseurs issus des rangs de la police, qui s’étaient déchaînés lors des manifestations anti-CPE, jamais identifiés. Favoriser la violence, voire l’organiser, tout faire pour l’amplifier, pour que la télégénique insécurité revienne à la Une ? Et qu’on ne dise surtout pas que Sarkozy est responsable : qu’on lui objecte les effets détestables de sa stratégie de l’escalade ultra-sécuritaire et il dégaine aussitôt sa propre explication. La faute à... une "pensée unique" et "post-soixante-huitarde". En gros, ça fait 25 ans qu’il manque de l’autorité dans ce pays, et il va nous faire marcher tous ces gauchistes et racailles à la schlague. Le pire est évidemment que ce discours prend, il suffit pour le savoir d’écouter les conversations dans les bistrots.
La France en danger
"Qui profite ?", donc, demandait notre grand avocat. "Moi", pense Sarkozy. "Lui", confirme Devedjian. Mais attention, Messieurs. En embuscade, l’original face à sa copie. Le roué borgne attend son heure pour tirer les marrons du brasier. Le candidat UMP est doublé sur sa droite - si, c’est possible, tournez la tête, tellement à droite qu’on l’a dans le dos !
, à l’extrême donc qui l’accuse d’être... laxiste, bien-sûr. Villiers fustige "bandes ethniques" et "barbares". Le Pen en personne s’exalte que ces violences "mettent en évidence la faillite de la soi-disant "politique de sécurité" de l’ex-ministre de l’Intérieur et candidat permanent (et sont) la conséquence directe de la politique d’immigration massive et aberrante menée par les gouvernements successifs depuis 30 ans". C’est ça, avec tous ces noirs et ses arabes... Et on leur laisse tout faire, pas vrai ? Ils se croient tout permis ! Tu nous remets une tournée, Jean-Marie ? Buvons entre Français. Et le vote frontiste, qui grimpe, grimpe...
La campagne n’est pas finie, rien n’est joué, Sarkozy n’a pas toujours pas publié sa déclaration de patrimoine, comme il l’avait promis, ni transmis les documents le disculpant d’être coupable de "prise illégale d’intérêt", pour ses bonnes affaires immobilières. Et il peut encore, au train où vont les choses, survenir nombre d’événements, pour influer de façon décisive sur le vote des électeurs. Et si le candidat UMP s’écroulait ? Nicolas, pourquoi tu tousses plus ?
Le cauchemar Sarkoland
"La France est en danger" : c’est le centriste Bayrou qui le proclame. Nous l’approuvons sur ce point. Elle est victime de cette surenchère entre le candidat UMP et l’extrême droite. Aspiré toujours plus loin dans cette fuite en avant, Sarkozy durcira-t-il encore son action, tant il semble qu’il n’ait que prêté les manettes du ministère de l’Intérieur au zélé petit Baroin ? Jusqu’où la spirale de la violence fera-t-elle la folle toupie ? Et si d’aventure les présidentielles sacraient le petit Néron empereur d’une France policière, livrée à une répression aveugle, disproportionnée, arbitraire, raciale et sociale ? Rappelons que notre pays est déjà condamné par Amnesty International, dans son rapport annuel portant sur l’année 2005, pour
"les mauvais traitements et les homicides racistes imputables à la police" et l’impunité dont jouissent souvent leurs auteurs.
Mais encore un effort, on peut faire mieux ! Pourquoi pas un nouveau Charonne ? Ou des ratonnades comme en 1961, sous ce cher Papon ? Mais modernisées : avec flashballs et Tasers, ces nouvelles armes qui envoient des décharges électriques de 50 000 volts (167 morts recensés aux Etats-Unis et au Canada depuis 1999 - on n’a entendu qu’Olivier Besancenot s’indigner de leur usage en France). Un Sarkoland tel qu’on le cauchemarde pourrait vite être déchiré par des affrontements insurrectionnels, bien au-delà du cercle des casseurs et des voyous. Certains n’attendent que ça, les "hommes forts", les nazis en herbe. Sait-on les manipulations que peuvent fomenter des groupuscules d’extrême droite, dans une dérive vers la stratégie de la tension chère aux "années de plomb" en Italie ? Ne sont-ce pas là les germes de la guerre civile ?
PS : dessin de Sarkozy en pompier kärcher : Julo, Blogapart