Le 26 novembre 1974, Simone Veil tenait à la tribune de l'Assemblée nationale un discours historique pour défendre sa loi légalisant l'avortement. Elle va faire face à des adversaires déchaînés, des réactions d'une rare violence.
Devant une assemblée qui compte 9 femmes pour 481 hommes, la ministre s'exprime d'une voix calme, un peu tendue: "Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les 300000 avortements qui chaque année mutilent les femmes dans ce pays, bafouent nos lois et humilient ou traumatisent celles qui y ont recours".
"Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit de les écouter. C'est toujours un drame", assure-t-elle tout en soulignant que "l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue". Son discours d'une heure est chaleureusement applaudi par la gauche.
La droite se tait, pour l'instant. Dans les tribunes du public, à l'inverse de l'hémicycle, ce sont les femmes qui dominent, venues en masse écouter la ministre.
Suivent alors plus de 25 heures de débats durant lesquelles Simone Veil affronte insultes et propos de "soudards", racontera-t-elle, pendant qu'à l'extérieur, des militants anti-avortement égrènent leurs chapelets. Trois jours et deux nuits de combat contre les tenants de sa propre majorité.
Michel Debré, ancien Premier ministre du général de Gaulle, voit dans ce texte "une monstrueuse erreur historique".
Les députés de droite René Feït et Emmanuel Hamel diffusent dans l'hémicycle, à tour de rôle, les battements d'un cœur de fœtus de quelques semaines. Le premier affirme que si le projet était adopté "il ferait chaque année deux fois plus de victimes que la bombe d'Hiroshima".
Jean Foyer, ancien Garde des Sceaux du général de Gaulle, lance: "Le temps n'est pas loin où nous connaîtrons en France ces avortoirs, ces abattoirs où s'entassent des cadavres de petits hommes".
Le pire reste à venir: Hector Rolland reproche à Simone Veil, rescapée des camps de la mort, "le choix d'un génocide". Jean-Marie Daillet évoque les embryons "jetés au four crématoire". Jacques Médecin parle de "barbarie organisée et couverte par la loi comme elle le fut par les nazis".
40 ans après, l'Assemblée nationale a adopté mercredi par 143 voix contre 7 une proposition de résolution cosignée par tous les présidents de groupes pour réaffirmer le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse en France, en Europe et dans le monde.
A l'inverse de la violence des échanges d'il y a 40 ans, l'apaisement a dominé pendant une heure et demie dans l'hémicycle lors des interventions, rompu seulement par un virulent discours anti-avortement du député d'extrême droite Jacques Bompard. Dans une anaphore, il a demandé une dizaine de fois "pardon", notamment "devant l'ensemble des enfants qui ne naîtront pas", déclenchant protestations croissantes et des claquements de pupitres sur les bancs de la gauche. Outre ce député du Vaucluse, cinq députés UMP, dont certains avaient été en pointe contre le mariage homosexuel, ont voté contre: Xavier Breton, Jean-Frédéric Poisson, Nicolas Dhuicq, Olivier Marleix, Yannick Moreau. S'y est ajouté l'UDI Jean-Christophe Fromantin. Le seul à s'abstenir a été le député du FN Gilbert Collard.
Le "courage" et la "détermination" d'une "femme d'exception", malgré les "attaques personnelles" et le "fragile soutien" de son camp, ont été salués par une large majorité des ministres et députés qui se sont exprimés, souvent avec "émotion", depuis la tribune où avait pris la parole en 1974 Simone Veil, ministre de la Santé. Les présidents et Premier ministre d'alors, Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac, ont aussi été salués.
Sans la gauche, ont rappelé socialistes, communistes et écologistes, sa loi n'aurait pas été votée.
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